Elle semblait de plus en plus pâle, sans doute était-Elle malade ! Elle avait le souffle court et avait porté sa main sur sa poitrine. Elle grimaçait, elle devait avoir mal s’interrogea-t-il… Pourquoi juste au moment où il aurait tenu sa main d’aïeule ? Pas de temps à perdre, il fallait appeler les secours.
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Elle était toujours aussi pâle, sa main était si froide que quand le S.A.M.U. arriva, il n’y avait déjà sans doute guère plus d’espoir.
Ses couleurs ne reviendraient jamais, ce balcon serait désormais gris comme tout le reste de cet univers, de ces gens…
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Tout était noir. Où étaient passées tous ces gens pleins de vie ? Avait-elle fini par quitter ce monde d’ennui, ce monde où seul le spectacle de l’agitation des autres la maintenait en vie ? Et ce jeune homme, qui était-il ? L’avait-Il tuée ? Avait-il été son pourfendeur ? Et si, en fait, Il l’avait libérée ?
Elle se sentait flotter, prête à décoller de son fauteuil roulant maudit où l’avaient abandonnée ses cinq ingrats d’enfants.
« Et voilà que je trépasse le jour où quelqu’un vient enfin vers moi… Les années sont cruelles, mais au moins, j’en suis libérée… Merci jeune homme… Et que diable souriez ! Où que vous soyez, où que vous alliez ! »
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C’était bel et bien terminé, aucun soin n’avait pu la ramener à Elle. Le décès venait d’être constaté. 9h30. Comment allait-il expliquer sa présence ici, chez cette inconnue ? Il sentit la panique grouiller dans son ventre.
Alors que les ambulanciers recouvraient le visage de la vieille femme, il la vit sourire. «Elle est encore vivante !» «Non monsieur, je suis désolé.» Il jura qu’elle avait bougé les lèvres, mais personne ne le crut. Il fallut le maîtriser tant il s'agita, refusant l’évidence.
« Calmez-vous, monsieur ! C’est fini ! »
Il pleura à son tour, peignant le sol des couleurs de ses larmes aquarelles. Elle avait souri, il n'en démordait pas; pourtant le corps raide et pâle ne laissait plus de place au doute.
Avait-Elle trouvé la paix dans une mort aussi absurde ? Et puis quelle mort ne l’était pas, absurde ? Il décida de ne pas poursuivre sa réflexion. Chercher à donner un sens à la mort ne ferait que lui faire perdre du temps alors qu'il lui fallait donner un sens à sa vie. Pourtant...
Il partagerait avec le monde ce qu’il avait vécu, les couleurs qu’il avait aperçues ces deux jours d’hiver.
Il lui devait bien ça…
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Remonter le courant de passants sur ce trottoir gris pierre, se faufiler entre ces gens qui avaient tant à apprendre et tant à offrir, ces gens qui marchaient comme des fourmis. C’était ainsi qu’il vivait toutes ces matinées-là. Il voyait leurs cœurs battre en même temps que leurs paupières. Ils étaient tous prêts. Il suffisait d’aller vers eux. Le monde était une pièce éteinte dont l’interrupteur était à la portée de tous. Il suffisait de tendre le doigt pour inviter les couleurs à égayer le ciel hivernal de la grise ville.